À partir d’une posture d’ignorants curieux, en procédant par lectures croisées, et à travers de nombreuses collaborations, Jérôme Dupeyrat et Laurent Sfar explorent des domaines hétéroclites, organisés selon cinq axes de lecture et de travail. Ces axes sont associés à une codification chromatique inspirée d’une adaptation scolaire de la classification décimale de Dewey en usage dans de nombreuses bibliothèques. Un polyèdre en céramique, réalisé par Sandra Foltz (Digna Robert #6, 1565, 2018), réinterprète ce code couleur transposé à La Bibliothèque grise : Une histoire de la lecture (noire) ; Enseigner et apprendre, arts vivants (orange) ; Une chambre à soi (marron) ; La parole mangée (bleu) ; Comment habiter la terre (vert) .
Une image exposée reproduit un abécédaire issu d’un manuel de la Bibliothèque bleue destiné à l’apprentissage de la lecture. Sa présence fait écho à l’infinité des choses qui peuvent être dites, écrites ou lues. Cette double page, comme pour tout manuel, initie une dynamique de transmission des savoirs. Le mode de diffusion de ces ouvrages de la Bibliothèque bleue, par colportage, participe à cet engagement. La singularité de ce phénomène éditorial a fortement marqué et influencé les orientations de la Bibliothèque grise.
Au cours de cette exposition, un cycle d’arpentage est proposé autour des deux tomes du livre L’invention du quotidien de Michel de Certeau, Luce Giard et Pierre Mayol. L’arpentage est une pratique d’éducation populaire consistant à lire et à discuter des ouvrages de façon collective, pour découvrir, partager et s’approprier les savoirs. Concrètement, l’arpentage consiste à se répartir la lecture d’un livre, dont les fragments sont lus individuellement avant d’en débattre de manière critique en groupe.
À la croisée de plusieurs sciences humaines et sociales, L’invention du quotidien analyse en quoi les usagers, loin d’être passifs et aliénés, produisent des langages qui leur sont propres à travers la manière dont ils s’approprient les produits, les espaces, et les images qui leur sont proposés ou imposés. Les tactiques qu’ils utilisent relèvent de la ruse, du braconnage ou du bricolage. C’est à travers ces « arts de faire » que les usagers inventent le quotidien, en lisant, parlant, marchant, habitant, cuisinant, perruquant, etc.
L’exposition a également été l’occasion d’une invitation à la chercheuse Dominique Dupart pour une conférence intitulée « Des lectures ouvrières (1840–1851) ».