Un des points de départ de ce prologue est la découverte du phénomène de la Bibliothèque bleue, dont la ville de Troyes fut l’un des principaux foyers du XVIIe au XIXe siècle. La Bibliothèque bleue fut un phénomène d’édition bon marché de littérature de colportage (romans de chevaleries, usuels, almanachs, etc.), qui joua un rôle majeur dans l’histoire de la culture populaire.
La Bibliothèque bleue et plus largement le colportage s’attirèrent la suspicion des pouvoirs politiques, méfiants envers la libre circulation des idées et des colporteurs, dont les faits et gestes étaient difficilement contrôlables. L’itinérance, le pouvoir émancipateur des livres, les conditions spatiales de le pensée, sont justement quelques-uns des motifs mis en relation dans le livre édité pour cette exposition. Cet ouvrage est composé de plusieurs extraits de textes de Ray Bradbury, Roger Chartier, Célestin Freinet, Géraldine Gourbe, Jean-Claude Moineau, Virginia Woolf, etc. Cette anthologie intitulée Prospectus prend place de façon interstitielle au sein de la réédition d’un autre ouvrage, Les Quatre fils Aymon, roman de chevalerie narrant la rébellion d’une fratrie de quatre barons contre le roi Charlemagne. Ce livre qui fut l’un des titres majeurs de la Bibliothèque bleue — constamment réédité et remanié, en donnant lieu à des réceptions diverses, dont certaines à teneur politique — devient ici l’enveloppe des textes collectés pour Prospectus, grâce à diverses opérations d’oblitération et de reliure [voir également Les Quatre fils Aymon — Prospectus dans la section « éditions »].
Le dispositif pivotant qui accueille la micro-bibliothèque a été conçu en écho aux nombreuses pirouettes juridiques et conceptuelles qui jalonnent l’histoire de la Bibliothèque bleue. Sa faible épaisseur matérialise par ailleurs le caractère alors embryonnaire de La Bibliothèque grise.
Entre dissimulation et dissémination, chacun des livres y est mis à disposition des visiteurs (des exemplaires des Quatre fils Aymon — Prospectus y sont constamment réapprovisionnés), soit pour une lecture sur place, soit en échange de livres provenant de leurs propres bibliothèques. Cet ensemble de livres, régi par le principe du don/contre-don, se transforme ainsi au cours de l’exposition en une bibliothèque témoin d’un certain nombre de transactions à la fois physiques et intellectuelles avec les lecteurs, matérialisant ainsi la circulation des connaissances.